Spectral, de Nic Mathieu

En France, depuis septembre 2014, le cinéma est entré dans une nouvelle ère, celle de la vidéo à la demande (VOD). Oubliez la télévision et les multiplexes type Pathé ou UGC, vous pouvez regarder vos films et séries où vous voulez et quand vous voulez, et tout à fait légalement. Pour cela il suffit d'avoir une connexion internet. Grâce à qui ? A Netflix bien sûr.

Soyons honnêtes, je suis ravi de l'arrivée de ce service en Europe. Pourquoi ? Parce qu'il n'a pas d'équivalent français digne de ce nom : OCS d'Orange ou CanalPlay ont un catalogue réduit, ancien et trop franco-français. Et cela ne changera pas de sitôt, la faute notamment à une absurdité bien française, la “chronologie des médias”. Cette loi oblige la diffusion des films à suivre plusieurs étapes : ils doivent d'abord être proposés en salle, puis en DVD, puis via Canal+, puis sur les chaînes de télévision gratuites. La VOD n'est permise qu'au bout de 3 ans. En clair, une belle entente entre les acteurs de cette industrie pour protéger leur rente au détriment d'une saine concurrence.

Du coup, Netflix et ses concurrents ne peuvent pas proposer de créations récentes, sauf s'ils les produisent eux-mêmes. Et à ce jeu là, l'américain dispose d'une belle longueur d'avance. Parti plus tôt, et leader sur son énorme marché domestique, son budget production est considérable : 6 milliards de dollars prévus en 2017. En face et en cumulé, celui des chaînes françaises est beaucoup plus faible et, plus grave, partagé entre plusieurs groupes (Canal+, TF1, France Télévision, M6, etc.) aux stratégies différentes.

En outre Netflix commence à produire dans les pays où il diffuse, comme avec la série Marseille. Une façon de s'adapter aux goûts locaux, et de s'accaparer les meilleurs réalisateurs.

Le service met aussi à l'honneur la science-fiction, un genre longtemps boudé par les cinéastes car trop (ou pas assez ?) “intello” et consommateur d'effets spéciaux coûteux, une limitation qui est beaucoup moins vraie aujourd'hui avec les trucages CGI.

Ajoutez à cela une interface utilisateur simplissime, une disponibilité sur tous les supports existants (web, smartphones, Apple TV, etc.) et vous comprendrez pourquoi sa première place ne risque pas d'être contestée rapidement.

Cette longue parenthèse refermée, voici donc une petite critique de Spectral, une production disponible sur le service depuis le 9 décembre.

Quid du réalisateur ? Je n'ai pas trouvé d'informations sur lui. Il semble être sorti de nulle part. En tout cas il s'agit de son premier long-métrage. Au scénario on trouve notamment John Gatins, qui a officié sur Flight (2012) de Robert Zemeckis, et George Nolfi, réalisateur de L'Agence (2011), une adaptation de Philip K. Dick.

Spectral nous projette en Moldavie, petit pays coincé entre la Roumanie et l'Ukraine, et en proie à une terrible guerre civile entre des rebelles et les forces gouvernementales. Pour appuyer ces dernières, des commandos de la Force Delta de l'armée américaine sont envoyés à Chișinău, la capitale. Mais ils se font massacrer par des ennemis étranges, invisibles à l'oeil nu. Grâce à leurs lunettes électroniques, certains soldats ont quand même pu les apercevoir : une vision glaçante, car ils ressemblent plus à des fantômes qu'à des humains.

La CIA envoie alors sur place le Dr Mark Clyne (James Badge Dale), un chercheur à la DARPA (Agence de recherche militaire), en lui demandant d'apporter avec lui une caméra à spectre large de son invention. Il est reçu par le géneral Orland (Bruce Greenwood) et l'agent de la CIA Fran Madison (Emily Mortimer), qui lui expliquent que les “fantômes” peuvent tuer instantanément, sans laisser de blessures visibles à leurs victimes. Clyne suppose qu'il s'agit en fait de soldats équipés d'un système de camouflage sophistiqué.

Pour en avoir la preuve, lui-même, Madison et une équipe des Forces Delta sont envoyés dans la zone de combat. Ils y rencontrent les “fantômes”, qui s'avèrent insensibles aux armes conventionnelles. Ils peuvent aussi traverser les murs en béton mais, bizarrement, pas le blindage en métal ou en céramique d'un char d'assaut. Clyne comprend alors que derrière un aspect surnaturel, se cache en fait une technologie bien réelle et redoutablement avancée.

Le nom du film joue sur le double sens du mot “spectre” : un synonyme de fantôme d'une part, et l'ensemble des longueurs d'ondes qu'un oeil ou une caméra peut percevoir d'autre part.

Et où trouve-t-on ces fantômes ? Dans une Europe de l'est reconstituée grossièrement, le tournage n'ayant pas eu lieu en Moldavie mais à Budapest. Une ville qui ne ressemble pas vraiment à Chișinău, mais honnêtement le public s'en moque un peu.

Le rythme de l'histoire est soutenu et on ne compte pas trop de longueurs. Après une présentation angoissante des “spectres”, le film nous sert une suite de scènes d'action divertissantes et particulièrement réussies visuellement, surtout pour un film destiné à une sortie en VOD. Les acteurs se débrouillent correctement dans leur rôle de gros durs, même si au milieu d'eux, la “touche féminine” de Fran Madison fait peu crédible.

Et c'est là l'intérêt de Spectral, du divertissement pur et assumé, sans scénario complexe ni acteur connu, mais sans tomber non plus dans la série B. Si Netflix sait produire régulièrement ce type de contenu, nulle doute que sa plateforme sera indétrônable.

Ma note : 4 sur 5